"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 16 décembre 2007

'Once' upon a time in the "Quartier Latin".


Samedi soir, j'ai rajeuni de 30 ans. J'ai fait un truc que je n'avais pas fait depuis trois décennies : je suis allé voir un film dans une petite salle du Quartier Latin.



Je ne vais presque jamais au cinéma le samedi soir : trop de monde, trop de cons, trop de jeunes cons surtout qui parlent pendant la séance et mangent bruyamment des chips ou dépiautent à l'infini les emballages très sonores de caramels mous.



Un ami me dit souvent : "tu seras un mauvais vieux". Je le suis déjà. Toujours une longueur d'avance !



Mais je reviens à mes moutons : je ne vais presque jamais au Quartier Latin. Les restos grecs attrape-gogos de la rue de la Huchette, les touristes en maraude persuadés qu'ils sont au cœur du Paris typique, les boutiques de mauvaises fringues du Boul'Mich, tout ça je déteste.



J'ai noté au passage, ce samedi soir, que "Le Grand Café de Cluny", où j'avais un grand souvenir personnel (une rencontre), est maintenant remplacé par une succursale de "La Brioche Dorée". Tout fout le camp. Les grands bistrots parisiens sont supplantés par le fast-food maquillé franchouillard ! Ah, la mondialisation n'a pas que du bon !



Mais j'ai donc tenté l'aventure extrême : je suis allé au cinéma un samedi soir au Quartier Latin !



Je n'avais guère le choix : la seule salle qui projetait encore le film que je voulais voir était justement au Quartier Latin.



Ceci, au passage, en dit long sur la distribution du cinéma en France, même à Paris. Le film que je voulais voir est sorti il y a moins d'un mois. Il faut déjà partir en expédition, dans un quartier hostile et détesté, pour avoir une petite chance de le voir ! Alors que toutes sortes de saloperies occupent indûment et indéfiniment la plupart des écrans.



La salle où je me suis rendu s'appelle "Reflet Médicis" et elle se trouve rue Champollion. Tout est "vintage" (suranné en français) dans cette appellation. "Reflet Médicis", plus ringard tu meurs comme nom de cinéma ! Et la rue Champollion, c'est une adresse tellement historique, tellement datée.



Au début de la rue, il y a un autre cinéma qui s'appelle le "Champo". C'est une salle jadis légendaire qui projette actuellement une grosse daube bien baveuse du cinéma français : "L'Auberge Rouge" avec Clavier, Jugnot et Balasko. Vous voyez le genre de raclure française dont il s'agit ! Le "Champo" projette cette grosse bouse. Le "Champo" est tombé bien bas.



Mais je n'allais heureusement pas au "Champo". J'allais quelques dizaines de mètres plus loin, j'allais au "Reflet Médicis". A la séance de 20 heures, j'allais voir un tout petit film irlandais intitulé "ONCE".



La critique à propos de ce film est excellente dans le monde entier. Le "New York Times" a été dithyrambique, la presse française tout autant, à part Thomas Sotinel, le pénible tâcheron malheureusement chargé du cinoche au journal "Le Monde". Sotinel, je crois qu'il est du genre à aimer "L'Auberge Rouge". Tant pis pour lui.



Alors, "Once", de quoi s'agit-il ? D'un film qui dure une heure et 25 minutes. Ça, c'est déjà une bonne nouvelle. Pas la peine de s'étaler pendant plus de deux plombes pour s'exprimer avec des images.



C'est un film réalisé à Dublin par un certain John Carney, totalement inconnu, mais très remarqué au festival de Sundance, l'hiver dernier.



Les interprètes sont Glen Hansard et Markéta Irglová, également parfaitement inconnus.



Enfin un film sans Will Smith ou Angelina Jolie !



L'histoire tient en quelques mots : un chanteur des rues, par ailleurs réparateur d'aspirateurs, rencontre à Dublin une immigrée tchèque également éprise de musique. Ils vont chanter ensemble et ils vont s'aimer brièvement et chastement. Le film se termine par une sorte de "happy end" un peu mélancolique. On croit qu'ils vont se marier et avoir beaucoup d'enfants. Mais la vraie vie est plus complexe. Et le film le prouve. Et c'est sa force.



Il y a l'histoire. Il y a surtout aussi la musique, les chansons magnifiques, des interprètes d'une grande fraîcheur, d'une grande vérité.



La réalisation, visiblement très fauchée, est pourtant incertaine. La caméra sur l'épaule, l'éclairage sommaire, le 16 mm gonflé (les spécialistes comprendront), tout cela pourrait être insupportable.



Mais non. Parce que le réalisateur et ses acteurs-chanteurs nous racontent une vraie histoire, une vraie et belle histoire, subtile, imprévisible.



Je suis sorti vers 22 heures du "Reflet Médicis". Tous les spectateurs étaient contents, ravis, épanouis, comme je l'étais.



Ça se voit une salle de cinéma qui a passé un bon moment. Pas de crétins qui mangent des bonbons dans le noir en faisant du bruit. Une salle qui a partagé un instant magique, projeté sur un écran blanc. C'est ça le cinoche, comme on aime. Depuis Méliès, on n'a rien fait de mieux.



Je me suis retrouvé dans le froid de décembre sur le Boulevard Saint-Michel. J'avais dans ma poche mon "I-pod" (baladeur numérique, comme on dit à l'Académie Française). Mais je n'avais pas du tout envie d'écouter de la musique car j'avais encore dans la tête les chansons du film.



Avant de prendre le métro à Saint-Michel, je suis tombé sur un petit attroupement. Des passants frigorifiés s'étaient agglutinés pour regarder une demi-douzaine de garçons agiles exécutant un spectacle de "break dance". Des garçons très doués, drôles et visiblement heureux de montrer leurs prouesses.



C'était bien.



C'est bien le Quartier Latin, le samedi soir, finalement.



Dans cette histoire, il y a pour conclure une morale, comme chez Jean de la Fontaine.



Il y a un peu d'espoir. Peut-être ne serai-je pas totalement un "mauvais vieux" ? Enfin, pas tout de suite.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Durant les 5 premières minutes, je me suis dit où ai-je été embarqué ? Je vais me faire chier une heure et demi. Et puis, le charme a opéré.
Les acteurs, la musique, les scènes, un vrai bonheur. Un film charmant, des chansons, des duos, des acteurs envoutants.
Je me suis même vu demander la BO du film au BHV qui ne l'avait pas reçue. C'est dire.

Anonyme a dit…

I loved this movie too. Ireland is changing fast, very fast. I've been living here two and a half years and it's already changed significantly. Five years ago you couldn't find an open store in the whole of Limerick after 5pm nor on Sundays. Now we have 24 hour Dunnes Store 7/7. Five years ago, meeting a foreigner that was not a tourist only ever happened in Ennis. Now the streets of Limerick are filled with Polish workers and Chinese students. Ireland is changing so fast, I can walk the streets of Limerick one day and not recognise them the next.
I miss the old Ireland. But if Ireland has to change, somehow, I hope it will still look a little like "Once": lose the old traditions, retain the magic, in spite of the new troubles and injustices arising.

Raphaël a dit…

Ah le Champo... Après avoir piqué quelques crayons chez Gibert, on allait voir La panthère rose... C'est devenu ça, le Champo ? J'y ajoutais toujours un o de trop. Maintenant, c'est un 0 ?

Anonyme a dit…

Mais quelle mauvaise foi, je rêve ! Pas plus tard qu'il y a une semaine, je suis allée voir Quai des Orfèvres, de Clouzot au... Champo. Tellement facile, tellement journaliste, de sélectionner les informations pour les faire adhérer à l'argument de base ! Passe encore pour tes lecteurs parisiens qui savent bien que tu passes la moitié de ton temps à râler contre Paris, et l'autre à profiter à mort de ce que tout Paris t'offre à portée de main, mais pour les autres qui n'ont pas les moyens (géographiques) de vérifier, c'est nul.

Et ne t'inquiète pas, la mauvaise foi ne dépend pas de l'âge...