"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 24 août 2008

C'est la rentrée !


C'est un phénomène unique au monde, c'est français et ça s'appelle : "la rentrée".

Dommage que Roland Barthes ait été fauché sur le boulevard Saint-Germain par la camionnette d'une entreprise de blanchissage alors qu'il se rendait au Collège de France, le 25 février 1980. Dommage qu'il soit mort de suites de cet accident, un mois plus tard, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Car Roland Barthes aurait pu utilement ajouter un chapitre à son opus intitulé "Mythologies" (1957). Ce chapitre aurait été consacré à un particularisme très français qu'on appelle : "la rentrée".

La Rentrée. Le phénomène est tel qu'il mérite la majuscule.

Cela veut dire d'abord que la France, à un moment ou à un autre, décide de "sortir".

S'il y a une "rentrée", c'est qu'il y a eu un "sortie". La France "sort" vers la mi-juillet (après le défilé de la Fête Nationale) et "rentre" vers la mi-août (après l'Assomption).

Comment décrire cette phase incertaine ? Ce sont des vacances, vous dira-t-on.

C'est surtout une vacance, au sens fort du terme : un mois flou, un ventre mou, une absence, un abandon, une déshérence.

La France se cabre dans une prostration nationale, à peine compensée par l'acharnement méritoire d'un fourmillement d'intérimaires inexpérimentés qui suppléent, tant bien que mal, à tous les titulaires partis s'emmerder dans les campings du Languedoc-Roussillon et d'ailleurs.

C'est le mois où la France s'arrête, s'enlise, s'encalmine. Le glacier "Bertillon", le meilleur de l'Ile Saint-Louis à Paris et –paraît-il- de France (donc du monde, non ?), n'est jamais ouvert l'été. "Fermeture annuelle", c'est l'écriteau que sont contraints de lire les touristes avides de sorbets et de cornets vanille-fraise. Ils se heurtent à notre étrange tradition de la "sortie" et de la "rentrée". Pas de glace "Bertillon" pendant l'été à Paris. Le glacier en chef, le plus recherché du pays, est de sortie. Il fera sa "rentrée" plus tard. Repassez en décembre ou en février. La glace n'en sera que meilleure. Elle s'accordera alors à la température ambiante.

La "rentrée", donc. Le concept se décline à l'infini.

La rentrée médiatique, c'est la plus vaine et la plus succulente. J'ai lu ceci cet été dans une gazette grand public : "Claire Chazal prépare sa rentrée sur TF1 loin du tumulte parisien". Elle fait quoi, exactement, Claire Chazal, dans cette phase intense de préparation ? Elle fait des fiches ? Il faudrait qu'on m'explique ce que Claire Chazal fait précisément pour "préparer" sa "rentrée".

La rentrée littéraire est une autre incongruité française. Nous vivons dans le seul pays au monde où l'on publie plus de 300 romans d'un seul coup, au moment précis où les lecteurs reprennent le travail et ont, de toute évidence, moins de temps à consacrer à la lecture. La rentrée littéraire de septembre se termine en novembre avec les prix littéraires qui font un tri commercial définitif dans le fatras de bouquins sortis des imprimeries et dont la plupart échoueront au pilon.

Il y a aussi la rentrée politique. Phénomène inconnu dans le reste du monde : ailleurs, les responsables politiques ne s'évanouissent pas comme chez nous pendant de longues semaines consécutives.

Le cérémonial français de la rentrée politique se fait par étapes. Il s'amorce par les "universités d'été", colloques bucoliques et faussement décontractés au cours desquels des militants en tee-shirt et aux yeux pétillants accueillent avec émerveillement les ténors de leur parti venus leur prodiguer des discours revigorants. Des discours oubliés aussitôt qu'ils ont été prononcés. Mais n'est-ce point le propre de presque tous les discours politiques ?

Juste après cela, c'est la rentrée parlementaire. Il est de bon ton de parler alors d'un "agenda chargé" pour la représentation nationale. L'opposition précise toujours que "l'agenda est surchargé".

Au même moment ou presque, surgit la rentrée scolaire. Le rituel est immuable : le ministère est toujours content ("tout s'est bien passé"), les syndicats de profs sont toujours ronchons, presque autant que les parents d'élèves (classes surchargées, enseignants qui font défaut, etc).

Et puis, évidemment, il y a la rentrée sociale. Chaque année, on dit qu'elle sera "chaude". Elle l'est rarement. La CGT agite quelques pancartes. L'automne est fini. La rentrée est oubliée, jusqu'à la prochaine.

Après la rentrée, toutes les rentrées (je n'ai pas cité la rentrée théâtrale ni la rentrée cinématographique), après cette rentrée protéiforme, sans qu'on y prenne garde, arrive très vite la Toussaint. Autant dire l'hiver et, inexorablement, les fêtes de fin d'année.

Vous avez remarqué que les grands magasins mettent en vitrine les cartables scolaires dès la fin juin. Ne soyez pas surpris de voir des sapins enguirlandés dans quelques jours près de chez vous.

C'est la rentrée. Joyeux Noël !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Your blog keeps getting better and better! Your older articles are not as good as newer ones you have a lot more creativity and originality now keep it up!

Anonyme a dit…

Really nice and impressive blog i found today.