"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 14 septembre 2010

"Imperial Bedrooms" - Bret Easton Ellis


C’est finalement un petit livre pas très épais, un peu plus de 200 pages. J’ai failli le lâcher en arrivant à la page 18. Vous savez ce que c’est, un livre dans lequel on n’arrive pas à entrer. On ne s’y sent pas bien. On trouve tout inintéressant : toutes ces histoires ressassées d’Hollywood, de drogue, d’alcool, de producteurs, de scénaristes et d’actrices qui couchaillent un peu ensemble.

J’ai laissé reposer le bouquin quelques jours et puis je l’ai repris. Et je m’y suis finalement laissé prendre. Toujours mal à l’aise car ce n’est pas un récit confortable. « Imperial Bedrooms » de Bret Easton Ellis (traduit chez Robert Laffont sous le titre « Suites Impériales ») est une boule d’angoisse, comme une nuit poisseuse après une soirée trop arrosée dans des draps défaits. Les connaisseurs remarqueront que le titre est emprunté à un album de 1982 d’Elvis Costello, cité dans l’ouvrage.

On retrouve Clay, personnage du tout premier livre de Bret Easton Ellis (« Less than zéro »). Clay n’est plus l’étudiant déjanté que nous avions découvert il y a 25 ans. Il est devenu un scénariste quadragénaire qui revient à Los Angeles après un long séjour à New York. On replonge fatalement dans les entrelacs des voies rapides qui sillonnent la cité californienne. On va d’une fête à l’autre, d’une cuite à la suivante, d’une jeune actrice facile à une ex-maîtresse.

Tout cela serait vain et répétitif si Bret Easton Ellis ne parvenait, comme à chaque fois, à introduire une menace au-dessus de cet univers factice. On a vu le résultat glaçant dans « American Psycho » et aussi, d’une manière plus personnelle dans son auto-fiction « Lunar Park ».

En réalité, il est temps de le révéler : Bret Easton Ellis ne nous parle jamais d’Hollywood et de ses travers. Ce n’est qu’un prétexte, un simple décor sans importance. Les tout premiers mots de « Suites Impériales » donnent une indication éclairante : « Ils avaient fait un film sur nous. » Les personnages du roman sont dans un film et Los Angeles est un plateau de tournage permanent. Il n’y a plus de différence entre les personnages réels et les personnages transposés dans la fiction. Tout se mélange, tout est vrai, tout est faux. En cela, Hollywood et ses villas manucurées, ses restaurants clinquants, ses soirées lascives constituent l’écrin idéal de cette absurdité.

Dans l’affolement permanent généré par ce miroir aux alouettes, il y a surtout des individus totalement paumés, pétrifiés comme des lapins pris dans des phares de voiture. « Suites Impériales » est un livre parcouru par la peur. Bret Easton Ellis pour nous donner un semblant de repère introduit une sorte de suspense policier à la Chandler. Mais c’est un leurre. Il y a des assassins, des poursuites, des guet-apens. Mais l’enquête n’aboutit jamais. Les meurtriers rôderont toujours et les proies (dont le personnage central, Clay) ne quittent jamais la zone obscure d’un danger indéfini et lancinant.

En lisant ce nouveau livre de Bret Easton Ellis, j’ai bizarrement pensé à « la Comédie Humaine » de Balzac. Imaginez Rastignac ou Rubempré déplacés des méandres politico-mondains du Paris du XIXème siècle vers les palmiers et les piscines bleutées de Beverly Hills. La solitude est la même, la détresse a juste changé de latitude et de costume.

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