"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 22 mars 2011

"Le Mal Français" : confirmation par le rapport alarmant du Médiateur de la République

Les chamailleries minables entre les deux tours des cantonales sont symptomatiques de l’immense médiocrité du débat politique en France.

Dans ce brouhaha autour du Front National et du «Front républicain», avez-vous entendu une seule seconde les politiciens nous décrire leur programme, donner des orientations fortes pour le pays ou, plus modestement, pour leur canton ?

Ils s’écharpent sur des alliances et des combinaisons d’appareil. Pas étonnant que l’abstention ait atteint dimanche des niveaux records. Comment le citoyen peut-il se sentir représenté par des élus qui ne sont obsédés que par un seul objectif : leur élection ou réélection ?

L’écart se creuse entre le peuple et ses représentants, toutes tendances confondues, même au niveau le plus simple, le plus proche, celui du canton.

C’est pour cela que le rapport du Médiateur de la République, remis hier lundi au président Sarkozy, résonne comme un salutaire rappel à l’ordre. Il est probable hélas que ce document ait été prestement remisé par le chef de l’Etat dans un fond de tiroir, comme tant d’autres rapports remarquables mais négligés par un exécutif coupé des réalités et persuadé de détenir la vérité.

A la différence de Nicolas Sarkozy, j’ai lu intégralement le rapport du Médiateur de la République (disponible ici en téléchargement).

C’est le dernier rapport réalisé sous la direction de Jean-Paul Delevoye dont le mandat s’achève et qui vient d’être élu à la présidence d’un zinzin inutile et coûteux : le Conseil Economique et Social. (lire ici une note antérieure d'ANYHOW à ce sujet)

Jean-Paul Delevoye n’est pas un dangereux gauchiste. C’est un UMP bon teint, ancien ministre, mais c’est un honnête homme. Il dresse un constat terrible sur la France.

Ses services sont au contact quotidien des Français déboussolés par une administration mal adaptée, par des règlements brutaux, par une bureaucratie aveugle. La santé (et singulièrement l'hôpital), l’aide sociale, la fiscalité, l’école, la justice, la profusion de lois opaques : tout le système grince. Les constatations faites par Delevoye, à partir de multiples témoignages vécus, devraient faire réfléchir la gauche et la majorité actuelle. Au lieu de cela, les leaders politiques se déchirent dans des luttes d’égos et de pouvoir.

Jean-Paul Delevoye estime dans les premiers mots de son introduction que la société française souffre d’un «burn out». Autrement dit, c’est une société épuisée, à bout de souffle. «La fébrilité du législateur trahit l’illusion de remplacer par la loi le recul des responsabilités individuelles et de la morale. Le maintien sous perfusion de citoyens assistés permet de soulager nos consciences mais pas de résoudre nos problèmes», écrit le Médiateur.

Jean-Paul Delevoye poursuit : «Les débats sont minés par les discours de posture et les causes à défendre noyées parmi les calculs électoraux. Or, les ressorts citoyens sont usés par les comportements politiciens». 

Oui, vous avez bien lu : usés par les comportements politiciens. Pas étonnant, dans ces conditions, que les électeurs qui se déplacent encore vers les urnes choisissent de plus en plus de faire le ménage en votant à l’extrême droite.

Le Médiateur décrit bien la France rapetissée de ce début de millénaire : «Nous ne sommes pas racistes mais réticents à partager avec ceux qui n’ont rien. Nous sommes pour la mixité sociale à condition de ne pas être embêtés ou gênés par nos voisins. Nous sommes pour la gratuité, celle dont on profite et non celle que l’on finance. (...) Les politiques, aujourd’hui, suivent l’opinion plus qu’ils ne la guident, tandis que les opinions, soumises aux émotions plus qu’aux convictions, sont volatiles. Nos sociétés sont régies par trois grands sentiments – les peurs, les espérances, les humiliations – ; les espérances actuelles sont creuses et fragiles tandis que les droites gèrent les peurs, les gauches cultivent les humiliations. Chaque camp pouvant gagner alternativement dans l’euphorie de la victoire d’un jour pour une France qui descendra de division à chaque élection et progressera pas à pas vers les populismes et les extrémismes.»

Jean-Paul Delevoye s’inquiète du déclin de la citoyenneté : «Celui qui paie l’impôt a perdu la dimension citoyenne de l’impôt et, s’il y consent encore, s’estime néanmoins lésé. De même, celui qui bénéficie de la solidarité publique a perdu le sens de cette solidarité et, ne recevant pas assez, se sent humilié.»

Le bilan de notre politique éducative est tout aussi alarmant pour le Médiateur : «L’éducation, en échec aujourd’hui sur l’acquisition des savoirs, l’aptitude au travail et l’éveil à la citoyenneté, interroge notre système administratif global qui échoue sur sa capacité d’inclusion et devient une machine à exclure.»

Je vous laisse le soin, si cela vous intéresse, de lire la suite et l’intégralité du rapport par vous-même.

Je suis très sceptique sur les solutions un peu vagues et grandiloquentes que le Médiateur avance pour résoudre ce «mal français». Cette expression servait de titre au livre clairvoyant écrit en 1976 par Alain Peyrefitte qui fut également visionnaire en 1973 en publiant : «Quand la Chine s’éveillera». Maintenant, la Chine est bien éveillée. Et la France se recroqueville dans un mauvais sommeil traversé par des rêves de grandeur évanouie.

Alain Peyrefitte avait établi le constat de nos déficiences, largement liées à notre histoire et à notre système ultra-centralisé, hérité de l’Ancien Régime. Les hommes de droite ne disent pas que des bêtises. Ce qui leur manque malheureusement, c’est la volonté de corriger les travers de notre vie publique. Et pourtant, ils ont longtemps exercé le pouvoir. Ils l’exercent encore.

Près de 40 ans plus tard, dans une synthèse plus courte, Jean-Paul Delevoye fait un bilan proche de celui d'Alain Peyrefitte. Mais le temps passe. Les décennies d’inaction s’accumulent. Les autres pays ne nous attendent pas pour avancer, de manière décisive, parfois autoritaire. Regardez la Chine, l’Inde ou le Brésil en partie sorti de l’ornière par Lula.

Comment nous relever de ce «burn out», de cet épuisement national ? Je ne vois pas, sur l’échiquier politique français, un entraineur qui donnera à notre pays un élan collectif, une envie de reprendre la course.

Aucun commentaire: