"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

samedi 16 juillet 2011

14 juillet : encore un effort, Eva Joly !

Avec une innocence aussi rafraichissante que les fjords de Norvège, Eva Joly a ouvert un débat intéressant en mettant en cause le défilé militaire du 14 juillet. La France et l’Italie sont les derniers pays d’Europe à exhiber leurs soldats à l’occasion de leur fête nationale.

En France, la tradition est relativement récente. C’est une invention de la IIIème République. De 1880 à 1914, les troupes défilaient à Longchamp. Ce n’est qu’en 1919, un an après la boucherie de 14-18, que le défilé s’est déplacé sur les Champs-Elysées. Mais parfois, la parade militaire a emprunté d’autres chemins. Valéry Giscard d’Estaing a eu la fantaisie d’organiser l’événement au cours de Vincennes et même de Bastille à République, le parcours fétiche des syndicats.

Plus le rayonnement du pays faiblit, plus la nécessité d’exposer les uniformes s’impose. La France, ancienne puissance coloniale, réduite à jouer les deuxièmes violons dans le concert des nations, se dresse une fois par an sur ses ergots et sort ses soldats de plomb de son coffre à jouets. La Russie plastronne de la même manière, espérant raviver la puissance de l’URSS. Les régimes les plus innommables, comme la Corée du Nord, ne sont pas en reste.

L’armée française n’est plus capable de mener durablement plusieurs opérations extérieures. Les engagements simultanés en Libye, en Afghanistan et dans diverses parties de l’Afrique montrent clairement les limites de nos forces combattantes. Ce sont les militaires eux-mêmes qui le disent. Avec moins de 1% de la population mondiale et une économie vacillante, la France peut encore faire un défilé mais beaucoup plus difficilement la guerre.

Mais la nostalgie de la puissance donne le ton. Chaque année, le bon peuple et ses dirigeants se rassurent en contemplant une cohorte de bidasses bien alignés. Il s’agit de rappeler, paraît-il, l’attachement de la Nation à son armée. Sincèrement, en quoi êtes-vous êtes attaché à votre armée ?

L’occasion est présentée aussi comme une célébration de la démocratie. Sur ce point, il y aurait beaucoup à redire. Consultez les archives photographiques de ces trente dernières années. Presque tous les tyrans de la planète ont honoré de leur présence notre défilé national, à l’invitation des plusieurs présidents de la République : une flopée de despotes africains, l’illuminé libyen que l’on combat aujourd’hui et le leader sanguinaire de la Syrie.

Le défilé du 14 juillet se situe aussi, nous dit-on, dans la lignée de la Révolution Française. Voilà un tabou auquel Eva Joly ne s’est encore attaquée. Encore un effort, Eva !

La Révolution Française ? Pas de quoi pavoiser, tout de même. Cette période confuse de l’Histoire de France est enjolivée par les manuels scolaires, à grands coups de simplifications hasardeuses. On voudrait nous faire croire qu’au soir du 14 juillet 1789, la démocratie a été instaurée une bonne fois pour toutes par quelques sans-culottes ayant conquis une vieille prison presque vide. Les historiens de gauche (Albert Soboul et quelques autres) qui inspirent encore les livres de classe, ont balayé d’un revers de plume tous les acquis de l’Ancien Régime qui furent nombreux. Le peuple est gentil, les nobles étaient méchants. La France a pourtant été fondée et construite par les rois, bien avant que les républiques ne se mettent à la démolir.

La Révolution Française a été sanglante et tyrannique pendant des dizaines d’années. Par la suite, ce soulèvement (bourgeois à l’origine) a conduit au pouvoir Napoléon 1er, aventurier belliqueux détesté dans toute l’Europe encore aujourd’hui. La Révolution Française a fait perdre à notre pays un temps précieux et l’a empêché d’entrer dans l’ère industrielle. Nous ne sommes toujours pas remis de ce fâcheux contretemps.

Je ne crois pas qu’Eva Joly osera présenter les choses de cette façon. Elle serait cette fois expulsée vers la Norvège, manu militari, c’est le cas de le dire.

Alors, l’année prochaine, sur les Champs-Elysées, le chef de l’Etat (Martine Aubry, François Hollande ou Nicolas Sarkozy) s’extasiera une fois encore devant nos bataillons rutilants sous le soleil de l’été.

On commémorera la grandeur supposée de la France et la chute de la royauté. La royauté est pourtant encore fortement inscrite dans les comportements de ceux qui nous dirigent.

Et les Français, oubliant que leurs ancêtres ont raccourci quelques Bourbons à la fin du 18ème siècle, continueront de se passionner pour les mariages royaux et princiers.

5 commentaires:

trababa a dit…

Je me demande s'il s'agit vraiment d' "un débat intéressant". Au contraire cela n'est il pas anecdotique ? Le 14 juillet, le tabac dans les lieux publics, la burqa, les "petites phrases", voilà ce qu'il reste au "débat" politique. Les vrais enjeux (comme qui crée la richesse ? Comment cette richesse est-elle répartie entre les actifs et les autres ? Entre le capital et le travail ?) ne sont jamais débattus, sont comme "sanctuarisés".

GED a dit…

L'unique raison de ce débat pour le gouvernement Fillon, c'est de détourner les médias (avec leur complicité) du nombre d'incidents, de voitures brûlées (plus de 400 pour l'Île de France, etc. Car ce constat confirme le rapport de la Cour des Comptes sur l'échec flagrant de la politique dite sécuritaire de notre Gigantesque Président.

Nol a dit…

Qui êtes vous, hormis être drôle?

ANYHOW a dit…

@Nol : je suis un journaliste que vous connaissez peut-être qui partage ici, en liberté, son goût pour l'actualité sous toutes ses formes.

eMi a dit…

J'aime beaucoup cet article que je le trouve, ma foi, très bien écrit, intéressant et très dôle également.
Ce débat est véritablement instructif (voire pédagogique) et nous permet de réviser l'histoire de notre pays et de nous rendre compte de l'esprit (trop...très) étriqué de nos politiques. Gauche frileuse et droite xénophobe: il paraît qu'on a les dirigents qu'on mérite...
A quand un défilé citoyen pour le 14 Juillet? Vive la République!
Au placard la parade militaire! Ou réservons-la pour le 8 Mai...
Le chemin de l'amélioration et de la modernité est décidement long et sinueux!