"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

lundi 6 février 2012

Claude Guéant, éthnologue



Il faut reconnaître à Claude Guéant le mérite d'avoir porté le débat politique français à un niveau bougrement plus intéressant que celui du PIB et des chicaillades sur la TVA sociale.

Le week-end dernier, face à un auditoire d'étudiants droitistes, le ministre de l'Intérieur a déclaré : «Toutes les civilisations ne se valent pas. (…) Nous devons protéger notre civilisation».

La petite phrase a soulevé un brouhaha indigné à gauche, comme il se doit. Et Marine Le Pen a, de son côté, reproché à M. Guéant de venir picorer dans sa basse-cour. Peu importe, en vérité.

Revenons à la déclaration liminaire de l'homme-lige de Nicolas Sarkozy : «Toutes les civilisations ne se valent pas.» Claude Guéant a ensuite clairement revendiqué son affirmation, avec des variantes, en remplaçant par exemple le mot «civilisation» par le mot «culture». Pour simplifier le débat, acceptons d'assimiler culture à civilisation. Il y aurait pourtant là matière à une analyse encore plus fouillée. D'autres s'y sont employés brillamment. Mais passons.

«Toutes les civilisations ne se valent pas.» Cela ressemble à l'énoncé d'un sujet de bac de philo. Ce que sous-entend ce présupposé, c'est que notre civilisation, la civilisation occidentale, est supérieure aux autres. Claude Guéant veut bien dire cela puisqu'il nous demande de «protéger notre civilisation». 

Contre quelle menace ? Claude Guéant vise, sans la nommer, la civilisation islamique. C'est clair comme de l'eau de roche. Le ministre souligne, dans son discours, les combats de son gouvernement contre le voile intégral et les prières dans la rue. Manière pour lui de réduire la culture, la civilisation et la religion islamiques à leurs manifestations les plus visibles, les plus marginales et les plus récentes.

Mais revenons à notre grande civilisation occidentale magnifiée par Claude Guéant. Oui, nous sommes fiers de notre civilisation et de sa culture. On lui doit Mozart et Couperin, Shakespeare et Goethe, Hugo et Cervantes, le Parthénon et la cathédrale de Reims, Rembrandt et Michel Ange. Je pourrais prolonger la liste à l'infini. L'Occident a inventé l'imprimerie et Internet, le cinéma et le moteur à explosion, la démocratie et le libre échange.

Mais la roue apparaît d'abord en Mésopotamie dans la civilisation sumérienne (3500 ans avant J.-C.). Le calcul et l'arithmétique, avant d'intéresser la Grèce antique, sont développés en Asie, en Egypte et dans le monde arabe. Les premières formes d'écriture reviennent aux Sumériens (encore eux !) et aux Egyptiens de la haute-antiquité.

Puisque Claude Guéant nous invite à porter un jugement de valeur sur les civilisations, il faut bien constater, objectivement, que la civilisation occidentale n'a pas produit que des chefs d'oeuvre.

Dans le parcours de notre civilisation, il ne faut pas oublier certains épisodes peu civilisés : les croisades, l'inquisition, l'esclavage et la traite des Africains par le commerce triangulaire, le colonialisme et le massacre des populations indigènes en Amérique du Nord et du Sud, le fascisme et le nazisme, les guerres de religion et l'Holocauste, la bombe atomique. Ces graves dérives sont également à inscrire au bilan de la civilisation occidentale. Une cantate de Bach, même la plus sublime, ne peut effacer ces tâches indélébiles.

Un peu d'humilité devrait nous pousser à prendre en compte aussi des civilisations beaucoup plus anciennes. Je pense en particulier à la civilisation égyptienne, vieille de 5000 ans ou à la civilisation chinoise qui remonte à plus de quatre millénaires. Comme en Occident, tout n'est pas exemplaire dans la longue histoire de l'Egypte et de la Chine. Mais on ne peut pas, d'un trait de plume, même en étant un ministre de l'Intérieur expéditif, reléguer en deuxième division des civilisations qui furent beaucoup plus avancées que la nôtre. La Chine et l'Egypte inventaient, construisaient et prospéraient quand les Occidentaux passaient péniblement de la grotte à la hutte.

C'est à tout cela que Claude Guéant aurait dû penser en prononçant, un peu à la légère, ce grand mot de «civilisation». On voit bien l'embarras que ce mot, lourd de sens, provoque à présent dans son propre camp. La meilleure conclusion est fournie par le bon sens poitevin de Jean-Pierre Raffarin : «Claude Guéant est meilleur ministre qu'ethnologue». C'est dire que M. Guéant, compte tenu de son action ministérielle, est un bien piètre ethnologue. Dommage que Claude Lévi-Strauss ne soit plus là pour nous le confirmer. 

2 commentaires:

Atawalpa Boultakis a dit…

"Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique". Claude Guéant

Merci de participer Monsieur Jérôme, comme les autres journalistes, à la désinformation et à la manipulation de l'esprit.

Atawalpa Boultakis a dit…
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